Yaël Abecassis. Joyeuse tragédienne (2024)

Même si sa filmographie s'est étoffée au fil des ans, nourrie d'œuvres marquantes telles Va, vis et deviens, de Radu Mihaileanu et Hatufim, de Gideon Raff (qui a inspiré la série américaine Homeland), Yaël Abecassis était restée dans notre imaginaire le personnage clé de Kadosh, d'Amos Gitaï. Une jeune juive ultraorthodoxe consumée d'amour pour son mari et mortifiée de ne pouvoir lui donner d'enfant, au point d'être répudiée. Elle incarnait un être éthéré, une souffrance pure. Tout l'inverse de cette femme charnelle aux airs de madone orientale qui, dans cette brasserie parisienne en une soirée humide de janvier, se jette voracement sur une entrecôte accompagnée de frites, d'aligot et d'un verre de vin rouge, peinant à maîtriser les mots et les émotions qui l'envahissent par bouffées.

Ce soir-là, elle est folle de bonheur. Aya, son premier film en tant que productrice (un courtmétrage), vient d'être sélectionné pour les oscars. Elle doit gérer son voyage à LosAngeles, s'assurer que son ancien mari - un «businessman» - peut s'occuper des enfants, répondre aux messages qui tombent sur son smartphone. Productrice, un nouveau rôle ? «Trop longtemps, j'ai été passive. Je n'en pouvais plus, j'avais besoin d'agir. Il faut aider à raconter des histoires, à donner des regards féminins, il n'y en a pas assez.»

Pour ce qui est de raconter, ces derniers jours, elle a été servie. Arrivée de Tel-Aviv le jour de l'attaque contre le supermarché casher, elle a été assaillie par les amis et les médias israéliens qui cherchaient à comprendre ce qui se passait enFrance. Puis elle a défilé le dimanche 11janvier, consciente de «vivre un moment historique». «Il faut arrêter de généraliser, de parler de Juifs, de Noirs, d'Arabes. Moi, je veux parler de l'individu, du partage. Ce dimanche-là, il y avait une foule mais une seule voix. Et ce n'est pas un hasard si ce mouvement commence là, à Paris : la génèse de la pensée est ici. Le11janvier, c'était comme si la France regagnait quelque chose de son ADN.» Et elle l'assure : «Les Israéliens, jusque-là, en voulaient beaucoup aux Français, qui parlent beaucoup mais n'agissent pas, qui sont trop souvent dans la pose. Maintenant, c'est différent, il y a un peu plus d'espoir. Et puis il faut pardonner, j'ai beaucoup aimé la une de Charlie Hebdo

Sachant lire, écrire et parler l'arabe, Yaël Abecassis milite pour la paix et l'établissem*nt d'un Etat palestinien au côté de celui d'Israël. Keffieh autour du cou, elle se dit incapable de supporter l'idée que ses fils partent à l'armée. «En Israël, il y a Naftali Bennett [dirigeant nationaliste et sioniste religieux, figure de proue des colons, ndlr] et puis il y a nous.» Nous ? «Je suis plutôt Meretz [parti de gauche, laïc] mais je vais voter pour les travaillistes. Il faut voter utile. En Israël, la nouvelle génération est formidable.» Elle a fondé une association pour aider les femmes battues, d'origine éthiopienne notamment. Elle y consacre plusieurs heures par semaine. «J'ai eu la chance de grandir dans une famille d'amazones. Ma mère m'a donné de la force, ma grand-mère m'a donné de la force, il faut partager ça», dit-elle en allumant une cigarette comme si c'était la dernière.

Yaël Abecassis est née «dans une atmosphère très militante, plutôt travailliste», trois semaines après la guerre des Six Jours. «On m'a appelée Yaël en hommage à Moshe Dayan, dont la fille se prénomme Yaël.» Ses parents sont des juifs marocains de Casablanca. Elle aime d'ailleurs à se définir comme une juive arabe. Sa mère est une figure de la chanson marocaine, son père faisait partie de la famille Abecassis, dont une partie est restée en France. La romancière Eliette Abecassis, auteure de la Répudiée, ce magnifique texte qui a inspiré Kadosh, est sa cousine, mais Yaël assure que cela n'a rien à voir avec sa présence dans le film. «Toutes les actrices voulaient le rôle, on me disait que j'étais trop belle pour l'avoir. J'ai dit qu'on allait voir de quoi j'étais capable. J'ai passé une audition et Amos [Gitaï] a dit : "c'est elle." Ça a bouleversé ma vie.»

Elle dit avoir été nourrie par les femmes mais ce sont les hommes qui ont marqué les tournants de son existence. D'abord son père, mort dans un accident de voiture alors qu'elle avait 10ans. «J'ai compris que la vie était courte. J'ai pris la liberté de chercher mon Dieu. Je crois qu'il est en permanence là, à côté de nous. La religion, c'est ce qui a mis de la beauté sur les mots et sur les choses. L'homme, c'est la grande faillite des siècles», dit-elle en mélangeant français, anglais et hébreu, tragédienne. A10ans, Yaël devient donc chef de famille. Elle doit s'occuper de son petit frère (aujourd'hui musicien) et de sa mère, grièvement blessée dans l'accident. «En prenant cette responsabilité, j'ai compris la force qui était en moi.» Elle se lance dansdes études d'histoire tout en travaillant comme mannequin pour arrondir les fins de mois. C'est ainsi qu'elle devient comédienne.

L'autre homme qui a marqué sa vie est Yitzhak Rabin, Premier ministre travailliste assassiné pour avoir conclu la paix avec les Palestiniens, en1995, à l'issue d'un meeting. «Trois semaines avant, on m'avait proposé d'animer ce meeting. J'étais la chérie d'Israël… La veille, ma mère m'appelle, en larmes : "J'ai fait un rêve, il va y avoir un massacre, tu vas mourir, n'y va pas." Je passe outre, je m'allonge à 14heures pour faire une sieste. Je devais y être à 18heures et je me réveille en sursaut à… 19heures. J'ai couru comme une folle. A mon arrivée, Rabin venait d'être assassiné.» Elle baisse la tête : «J'avais tellement honte de faire partie du même peuple que l'assassin.» Quand Benyamin Nétanyahou devient Premier ministre, en 1996, elle quitte Israël pour la France, dégoûtée de voir arriver au pouvoir celui qui a combattu les accords d'Oslo. «Je suis restée trois semaines, Israël me manquait trop.»

C'est l'évocation de l'assassinat de Rabin qui l'a poussée à accepter un des trois principaux rôles de Rendez-vous à Atlit, de Shirel Amitaï, aux côtés de Géraldine Nakache et Judith Chemla, l'histoire de trois sœurs qui se battent autour de la maison familiale, métaphore d'Israël et de la difficulté à partager. «C'est le premier film qui parle de l'assassinat de Rabin, ça m'a émue.» Elle sera aussi à l'affiche de Mon fils, de Eran Riklis, en février, dans lequel un jeune Arabe essaie de trouver sa place dans la société israélienne. Après Hatufim, on lui a proposé des rôles aux Etats-Unis, elle a refusé. «Ce n'est pas ma culture.» En revanche, elle «a une envie folle» de tourner dans des films français. «Je m'identifie beaucoup à la femme française, à sa liberté de corps et d'âme.»

Et les hommes dans tout ça ? Pour elle, il n'y en a que deux, Mori et Ariel, ses fils de 17 et 10ans. Ont-ils le même père ? Elle nous regarde en plissant les yeux, un drôle de sourire aux lèvres : «Ça va pas, non ?»

En 8 dates

19juillet 1967 Naissance àAshkelon (Israël).

1977 Mort de son père.

1995 Attentat contre Yitzhak Rabin.

1997 Naissance de son premier fils, Mori.

1999 Joue dans Kadosh, d'Amos Gitaï.

2005 Naissance de sonsecond fils, Ariel.

2006 Fonde l'association Esprit de femmes

21janvier 2015 Rendez-vous à Atlit, de Shirel Amitaï.

Photo Roberto Frankenberg

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